La Suisse
Ou la nostalgie de ma jeunesse
A la fin de la guerre, mon parrain, le poète Jean d’Aven, a demi suisse ( Adolphe Gysin ) mari de la tante Lucienne, a l’heureuse idée de m’offrir un agenda suisse Pestalozzi. J’y trouve la référence d’un organisme de jumelage. Par son entremise, j’entre en contact avec un garçon de mon âge, Hans, habitant à Belp, près de Bern.
Dès la seconde lettre, la correspondance est relayée par sa maman, qui sera suivie de multiples échanges pendant des années. Je ne relis pas sans émotion ses lettres bihebdomadaires à l’écriture régulière et Une invitation s’en suit, et sera le début d’une relation familiale ( Vati, Muetti ) encore vivace à ce jour à mon cœur.
A mon premier pas en Suisse, je sais entrer dans un monde nouveau.
jour et me retrouve ainsi avec six frères et sœurs!
Bien des fois, j’ai dû les agacer avec un caractère d’enfant gâté, et je les remercie de m’avoir supporté tant d’années, et adopté… Ils ont illuminé ma jeunesse. Je leur voue toute mon affection .Le Suisse représente pour moi un air indicible que je reconnais a la première seconde a la première inspiration, au premier regard, fait de beauté, de propreté , d’esprit de Tell. Enfermez moi dans une chambre noire et reconnaîtrai si je suis en Suisse ! C’est «chez moi « ! Tout un mode de vie.C »est « ma maison, mon foyer « .
Mon éducation en a été totalement imprégnée, orientée, du sens de la famille, du goût de l’effort (par la montagne) du sens civique. Ainsi mes habitudes alimentaires se sont volontiers soumises à la collation du soir à 6h45 faite d’une pomme de terre » en robe des champs » un morceau de beurre et de fromage à pâte cuite, un bol de café au lait sans sucre. Le délice d’une « tresse » beurre confiture au petit déjeuner dominical, j’en hume encore le parfum.
La montagne comme Kandersteg, tient une large place dans mes souvenirs. C’est le pas de marche en montagne, mesuré, appuyé, pesant, répétitif de longues heures durant, derrière Vati. L’eau du torrent en récompense vient étancher une vraie soif, (quel pied !) et pour soulager justement les pieds. La nuit en refuge (sans elle il n’y a pas de vraie ascension !) avec son inconfort, le ronflement des congénères, l’odeur d’humidité, de moisi des bas flancs et des couvertures, le sommeil écourté, le réveil avant l’aube.
Début de l’ascension dans la nuit glaciale, silence seulement troublé par le cliquetis des piolets sur les roches. Les doigts sont malhabiles engourdis pour pour passer et nouer la corde. Les crampons que l’on chausse au lever du soleil et » l’attaque » du glacier ou du névé. Moments uniques. Parfois un dévissage rappelle heureusement la solidarité de la cordée (« l’année prochaine j’irai à la mer !») Le sommet est la récompense ultime. Enfin la pénible descente qui n’en finit pas, les chevilles qui remontent dans les genoux, les genoux dans la mâchoire … et la fatigue totale qui vous plonge au retour dans un sommeil profond et délicieux. Merci aussi pour tout cela.
Insouciant je n’ai certainement pas su a temps reconnaître l’ampleur de la générosité de Vati et Muetti. Les nombreux voyages, les vêtements (mes premiers costumes, sur mesures !), ma première montre (Zénith), appareil photo, mais surtout l’ampleur de l’affection sans bornes qui m’a été prodiguée.
La générosité a été poussée au point d’inviter un » camarade » parisien, Claude de crainte que je m’ennuie, alors que Hans est reparti a Schiers poursuivre sa scolarité. Les promenades en montagne dans le pré alpes séduisent Claude dès le premier pas. Si bien que nous poussons l’audace jusqu’a partir en montagne ce mois de septembre 1949, et ce sera une véritable révélation pour Claude dont la passion ne faiblira jamais. En plus de ses études, il fera l’École des Guides de Haute Montagne de Chamonix dont il deviendra Guide Il connaîtra une heure de célébrité avec le sauvetage de Vincendon et Henry en compagnie de Lionel Terray. Il finira par en faire sa profession, et je suis très flatté d’être somme toute à l’origine de cette vocation.
L’album de photos rend compte très partiellement de ces souvenirs heureux, ainsi que les dessins d’Anna de cette époque, ou plus récents sur les oiseaux. Sa personnalité sensible se retrouve a coté du talent de son amie Marie Jo Orgiazzi dont l univers imaginaire nous a profondément marqué.