Je suis né le 4 septembre 1933 à 6 heures du matin, à Saint Mandé, au 5 rue Plisson, 4 me droite, dans le lit de mes parents (déjà le sens du confort) ! L’église Saint Louis de Vincennes est à deux pas ainsi que le patronage. La paroisse est le pivot de toutes nos amitiés ( familles André Mézerette, Olivry, Pioche, réunion des hommes le dimanche matin après la messe au » Canon » des Tourelles », notre sacristie ! Les femmes se réunissent volontiers le mercredi après-midi chez l’une ou l’autre en alternance, souvent chez Madame Lamoureux, ou les recettes de cuisine étaient à l’ordre du jour. De l’appartement de rue la Plisson, je ne conserve que des impressions fugitives, comme le long couloir conduisant à la chambre des parents, qui est aussi la mienne. Le petit lit est métallique, blanc, a barreaux, au travers desquels je passe la main et dessine du doigt les volutes rouges et noires du papier peint. Ce couloir représentait une salle de jeu idéale pour lancer les petites voitures dont le bruit …entraînait les coups de balais au plafond du voisin du dessous. Le salon et la salle à manger avaient une petite avancée sur la façade et donnaient sur le cimetière : silence assuré, mais l’orientation au nord et le vent ayant libre cours, l’appartement était assez froid. J’en ai conservé le réflexe de regarder en premier l’orientation d’une maison avant de décider d’une éventuelle acquisition.
Les vacances se passaient régulièrement à Ponthierry (près de Melun)
Les anecdotes seraient nombreuses, mais une seule suffira. La propriété était celle de Mademoiselle Lourdez (« Mademoiselle Marie » ) sœur de l’employeur de mon père, femme » sèche » revêche, qui me paraissait grande, sévère, toujours vêtue de noir (de qui portait-elle le deuil ?) Conduisant l’entretien de sa maison d’une main de fer. Ma mère avait cette année-là, contracté la scarlatine. A l’isolement pendant six semaines, Mlle Marie venait chaque jour lui tenir un peu compagnie, lui rapportant les potins du pays. Elle se plaignait en particulier de la surdité de son nouveau jardinier. Un carnet et un crayon à la main, elle devait le suivre pour lui donner ses instructions. A la fin de la convalescence de ma mère, Mlle Marie lui demanda un jour, de bien vouloir garder la maison en son absence passagère. » Ma bonne amie, le jardinier doit venir. Demandez-lui de revenir demain « . Petit tintement de la cloche d’entrée au milieu de l’après midi (ce doit être le jardinier !) Ouvrant la porte, ma mère se trouve face à un petit homme râblé, vêtu en ouvrier, et au visage un peu » ingrat». » Mademoiselle Lourdez s’il vous plait » d’un air qu’elle crut bizarre. Se souvenant des recommandations qui lui avaient été faites, ma mère, brandissant son index devant le visage, et l’agitant d’un mouvement régulier de métronome, lui dit d’une voix TRES forte et en détachant bien les syllabes : » E.L.L.E. N’E.S.T P.A.S L.A !!!) Le brave homme reste coi, écarquillant les yeux. Ma mère de penser qu’il est vraiment TRES sourd, plus encore qu’elle ne l’imaginait. Et de reprendre son petit manège du doigt et hurler encore plus fort : » elle n’est pas la !! » Alors contre toute attente, le petit bonhomme, d’une voix fluette, lui dit : » mais Madame, ne criez pas si fort ! Je ne suis pas sourd ! Je suis le plombier ! » S’esclaffant d’un rire inextinguible, ma mère ne put prononcer le moindre mot, et le petit homme-plombier s’esquiva au plus vite, en pensant que la brave dame était bien « atteinte ». Pendant une semaine, les gamins ont poursuivi notre mère pour voir si elle riait encore !
Nous avons déménagé en 1939 pour nous installer au 100 ter avenue de Saint Mandé. .à Paris.
Par prudence notre père avait préféré nous éloigner de Paris pour les vacances d’été 1939. Nous étions sur les bords de la Loire à Savennieres (renommé depuis pour ses petits blancs alors présentés en » fillettes » ou la déclaration de guerre nous trouvèrent le 4 septembre 1939. attendions la déclaration de guerre qui paraissait inévitable. La » drôle » de guerre s’éternise tout au long des derniers mois de 1939 et du premier semestre 1940. Puis c’est la » Blitz Krieg «. Voyant la progression des armées allemandes vers Paris, notre père, inquiet, préfère suivre le mouvement d‘exode généralisé (d’autant plus que l’entreprise reçoit l’ordre de se replier sur Château Gonthier aux portes de la Bretagne). Nous prenons la route, le mardi 8 juin dans le vieux camion Renault, la famille Lourdez dans la Citroën C6, et nous nous mêlons à la foule. Paris sera déclaré » ville ouverte » le demain matin ! Lorsque épuisés par les longues files d’attente, Constant se métamorphose même parfois en gendarme aux carrefours pour réguler la circulation (facile avec son casque colonial blanc qu’il sortait de je ne sais ou) il décide enfin de s’arrêter quoiqu’il arrive loin de notre itinéraire prévu vers la Bretagne. Les allemands en font autant 60 Kms plus au nord derrière nous. Nous nous retrouvons ainsi en » zone libre » dans l’Indre, près de Châteaumeillant et devrons attendre six semaines de procédure pour obtenir le sacrosaint laisser passer, « l’Ausweis ». La cour de ferme qui nous accueillait était recouverte d’une épaisse couche de boue, dans laquelle j’enfonçais à mi mollet. Une ferme délabrée, salle comme il n’est pas possible, nous ramenant au 16 me siècle. Une « mée » me servait de lit. Maman ne vivait pas à l’idée que le lourd couvercle de bois aurait pu se rabattre sur moi. L’eau d’un mauvais puits nous ravitaillait. La cuisine était une écurie (a « une place») dont le cheval avait été prié d’aller voir dehors si nous y étions. Un jour, au milieu des casseroles et des bassines, il lui a venu l’idée saugrenue de venir voir ce que nous y faisions. Imaginez la terreur de notre mère face à cette jument dans l’encadrement de la porte, rentrant avec fracas à son domicile.
Nous finissions par être de retour à Paris en septembre. Alors commençait la longue période de restrictions caractéristique de l’occupation qui allait bouleverser nos habitudes et notre mode de vie.
Impact le plus visible d’abord, sur l’alimentation. Cartes d’alimentation à tickets, donnant droit à des portions alimentaires essentielles, pain, sucre, riz, matières grasses, viande. Chaque mois était publié la ration accordée à chaque ticket. Il existait plusieurs catégories suivant l’âge, la fonction… J1, J2, J3, Travailleurs de force… Ce système était rigoureux pour les habitants des grandes villes. Les rutabagas, les topinambours n’étaient pas mon fort ! Les agrumes étaient bien sur absents des étals, de même que les chocolat et autres gâteries, que je ne découvrirais que plusieurs années après la fin du conflit. L’absence de chauffage rendait la vie inconfortable, confinée à une seule pièce. La chambre des parents faisait ainsi office de salle à manger, de bureau de salle de repassage. Unique poêle à bois ou à briquettes compressées de poussier, stockées dans l’étroite cave individuelle au sous-sol. Le gaz était fortement restreint, par la baisse (dangereuse) de pression. Pas d’eau chaude au robinet. Corvées de chauffage de bassines d’eau pour la vaisselle et pour « dégourdir » l’eau du bain ! D’ailleurs il n’y avait pratiquement pas de savon, et le peu disponible était un « ersatz ». Ersatz également le café, mélangé a une bonne dose de chicorée. Pas de quoi rendre les gens insomniaques. Cependant les nuits étaient parfois agitées: le hurlement lugubre des sirènes d’alarme dans la nuit nous sortant du sommeil profond d’enfant, le lever précipité (il fallait bien ranger les habits le soir sur la chaise dans l’ordre ou nous allions les passer !) Nous descendions maladroits, à la cave, pour nous y entasser, à la lueur d’une bougie, écouter les explosions des tirs de DCA. Parfois on pouvait entendre le cliquetis d’éclats d’obus sur la chaussée de la rue .Puis la sirène libératrice terminait cet épisode insolite.
L’école reprenait le lendemain matin par le chant » Maréchal nous voilà « , debout au garde à vous a cote du banc, entraînés par l’instituteur, sous le regard patenôtre du portait au mur, du Chef de l’État français. Deux fois par semaine la classe était interrompue par la distribution, (don du Secours National,) de gâteaux à la caséine ou de comprimes vitaminés, acidulés, colorant la langue en rose dont nous étions très friands.
La présence, d’ailleurs relativement discrète des troupes allemandes et surtout des officiers, ne nous importunait absolument pas. Tel Jean Yanne, nous trouvions même que les occupants avaient fière allure, avec de beaux uniformes, défilaient au pas cadencé, impressionnant et chantaient bien ! (à côte de nos pauvres poilus que nous avions pu voir sur les routes de France quelques mois auparavant). Les inscriptions directionnelles aux carrefours étaient finalement plus présentes. Des rafles, des exactions, nous ne vîmes rien. Même nos amis juifs s’étaient pliés au port de l’étoile jaune sans rechigner (j’en étais presque jaloux) et ne se doutaient pas de ce qui les attendait. (« Ce sont les juifs étrangers qui sont recherchés » !) A ma connaissance, malgré notre nom, nous n’avons subi aucune investigation particulière.
Les transports n’étaient que peu perturbés. Les autobus avaient un drôle d’allure de ballon dirigeable, par la présence du réservoir de gaz, carène dans le toit. Les voitures particulières, peu nombreuses (ignorant les encombrements) dans des rues désertées, fonctionnaient au charbon de bois (gazogène) avec une marmite cylindrique a cote du moteur rappelant un peu la machine de Denis Papin ! Les vélo-taxi étaient une attraction. Le métro roulait normalement avec des horaires réduits le soir en raison du » couvre-feu » qui chassait au pas de course les rares piétons attardés. Les rues étaient sombres, les lumières de réverbères masquées par de la peinture bleue, et les façades d’immeubles uniformément sombre par le calfeutrage des fenêtres, qui ne devait laisser filtrer aucun rais de lumière, consigne impérative de la » défense passive » représentée par le » chef d’îlots « . La grrrrrosse organisation quoi !
Le chemin pour me rendre à l’école primaire du 180 Avenue Michel Bizot empruntait la » rampe » de l’avenue de St Mandé avait un coté bucolique par la présence d’un pommier dans un jardinet et des platanes le long du trottoir. .Sinon, les divertissements se résumaient aux répétitions de chorale et d’orchestre (la musique occupait une grande place), les sorties du jeudi au patronage de la rue Sibuet rarement le cinéma de quartier, « le Courteline. La paroisse de l’immaculée Conception rue du Rendez vous, tenait une place majeure dans la famille, Maman s’occupant du catechisme. Je servais regulierement la messe, et en tant que « petit clerc » j’eus meme le rare privilege de servir la messe a Monseigneur Roncalli, futur Jean XXIII.
Quant aux vacances la paroisse avait organisé des colonies avec l’abbé Emmanuelli, qui se rendaient en Normandie chez les Coispel. La vie en plein air, gavés de beurre et de crème fraîche, nous nous refaisions une santé. Ce fut aussi plus tard, l’occasion de quelques sorties mémorables à bicyclette chez eux, par des chemins détournés pour éviter les contrôles. 300 Kms AR pour le week end, pour nos petites jambes… il fallait être poussé par la faim! Et ce n’était pas sans risques d’être interceptés par une patrouille.
Le 5 juin 44 notre père pressentant l’imminence d’un débarquement, expédia sa petite famille… en Normandie chez les Coispel ! Quel chambardement dans la nuit: aux premières loges. Devant l’avance. Cette fois des Alliés, le repli sur Paris fut décidé le 11 août, pour toujours être aux premières loges, cette fois pour la libération de Paris le 25 août, ce jour même qui vit le décès de notre frère Jacques) ! Période de grand chaos, prives de tout, électricité, gaz, ravitaillement de base. Et puis les premiers blindés à étoile blanche, la découverte des Jeeps, du chewing gum, des Camels, lancés à la volée sur le passage des GI dans les fameux GMC dévalant les grands boulevards.
Nous n’étions pas sortis d’affaire pour autant et la période de restrictions devait se maintenir encore pendant près de quatre ans… celle de la réorganisation de la vie publique encore plus longtemps. Celle des secousses politiques n’a pas fini aujourd’hui !
1944 est l’année de mon entrée au collège Arago… et du véritable début de mon adolescence avec la coupe de cheveux en brosse qui durera 30 ans !
Période de mutation et de toutes les découvertes: Quartier Latin, l’Existentialisme et Sartre, le Coca Cola, les « caves » de St Germain, Bechet, Luther, Greco, le Reader Digest. Et puis ces petits cabarets ou se découvrent chaque jour de multiples vrais talents : l’Échanson d’ André Pasdoc rue des Petits Champs avec Anne Marie Carrière, Amont, Pierre Jean Vaillard, l’Echelle de Jacob avec Brel, Brassens, la Rose Rouge avec Greco, l’Amiral avec Roger Pierre Jean Marc Thibault, Jean Richard, l’Ecluse avec Barbara Léo Noël. Tous ces grands noms réunis témoignent de la richesse des talents inouïs de l’époque et laissent rêveurs. Les jeudis après-midi au Palais de Chaillot pour les matinées classiques, les films documentaires (qui auront une grande influence sur mon avenir), les concerts d’orgue d’André Marchal.
L’empreinte de l’épisode suisse sera indélébile sur le reste de ma vie. Les études médicales suivront, le service militaire et mes aventures dans les airs et sur les mers avec beaucoup de nos amis.
Ainsi le cours de la vie s’accélère soudain. L’installation à Deauville, découle logiquement de tout cet enchaînement. La maison et le cabinet de radiologie occupent le 110 rue de la République. J’entre avec Michel d’Ornano au Conseil Municipal en 1964 et y siégerait jusqu’en 1982.En prenant la décision de prolonger la piste d’atterrissage de St Gatien il ne soupçonnait pas qu’en dépendrait en 1970 ma rencontre avec Annick ! » («effet papillon » dans le temps, à ma petite échelle dont on peut suivre le déroulement de ma naissance à ce jour!) De quoi méditer… Suivront la réalisation de la Polyclinique, l‘installation à la Chesnaie
Ce seront ultérieurement Sallanches et l’avenue de St Martin, Combloux, Rouen, Beaumontel., le PreJoli, un vrai tour de France!
Ensuite ce sera le Canada…..mais c’est une autre histoire !