Ah ! je vais devenir dément
Si se prolonge ce silence,
Mary Haerri, dis-moi comment
Te ressaisir et je m’élance !
Suis-je plus ton poète enfin?
M’as-tu donc rayé de tes fins ?
Ah ! c’est mourir que de t’attendre !
Dedans ces plis de papier deuil
J’ai mis mon cœur lourd au cercueil
Ressuscite le pour l’entendre!
Avril 1895
» Mary, mon cœur d’ombre cerné
Ne voit que par votre lumière;
Mais voici que rien ne l’éclaire
Car vous l’avez abandonné !
Sans ton sourire il est damné;
Pour toi seule, en joie ou misère,
Il rit, il chante ou désespère,
Mary, pour toi seule il est né !
Juge moi, j’attends ta sentence,
M’inclinerai, sans résistance,
Devant un verdict sans pourvois,
Damnation sera plus douce
Si dans ta voix qui me repousse
Mon nom sonne encore une fois.
Avril 1895
Et, porteur de ma pauvre lettre
Qu’à la poste je ne puis mettre
(Car cette voie est sans espoir)
N’est-ce pas, silence trop noir !
J’erre désemparé… la gare
De l’Est me barre le chemin ;
Une extravagance s’empare
De moi : vite, courir au train
Qui, dans l’heure part pour la Suisse;
Las trouver, par chance, un complice,
Un brave voyageur, s’entend,
Qui connaît Wattwil et s’y rend,
N’objecte… ni ne se refuse
(Ayant même flairé la ruse)
A remettre à Mary Haerri
En main propre, mon petit pli !
Lors, gagnant le quai, je salue,
Parmi cent voyageurs pressés
Un jeune homme; il me plaît assez;
Il va, longeant le train visé;
Je l’aborde dans la cohue;
– » Monsieur, iriez-vous à Wattwil ?
– » Si fait, je m’y rends, me dit-il.
– » Vraiment, Monsieur, j’ai de la chance !
Voudriez-vous, plein d’obligeance,
Me rendre un service discret ?
– » Je vous dirai si j’y suis prêt
Quand vous m’aurez, comme prémisses
Dit votre nom, et les services
Que je puis vous rendre là-bas
Où vais retrouver de ce pas
Une sœur qui ne m’attend pas…
Et d’abord, Monsieur, je me nomme,
Me dit-il, avec un souris,
Voici ma carte Hermann Haerri !
Hermann Haerri ! je tombai blême;
Et je ne sais comment, plus tard,
Devant la gare de l’Est même,
Je repris mon chemin, hagard,
Août 1895
Le destin railleur me poursuit
Par la ruse ou par le miracle
Ai cru pouvoir tourner l’obstacle
Au fort même de la débâcle…
Las ! tout s’écroule, m’éconduit !
J’aurais dû peut-être lui dire
Ma détresse, mon deuil, le cri
De mes seize ans, de mon martyre
Son frère n’eût pu me maudire,
Peut être, m’aurait-il souri ?
Ah ! surtout, ma chère suivante,
Ma Douleur, ne me quitte pas;
Tu es la présence vivante,
De Mary Haerri dans mes pas.
Et toi, divine Poésie,
Tous ses reflets, tous ses parfums,
Je ne te délaisserai mie ;
En restant fidèle à tes fins,
Je reste fidèle à ma Mie,
A son âme, à ma Muse enfin !
Ma peine et toi soyez unies !
Sur mon cœur, jusqu’à ses confins Noyés de larmes infinies…
J’aurai Mary jusqu’à ma fin !…
PAUL VERLAINE
——-
J’ai croisé Paul Verlaine, hier, au Luxembourg.
L’après midi s’alanguissait de flâneries,
Le poète au hasard des pelouses fleuries
Allait, le front plissé, les yeux las, le pas lourd.
Et je le saluai très bas. Las ! il fut sourd
A mes respects, tant il était en rêveries;
Mais des admirateurs je sais les roueries,
Et je revins derrière lui par un détour.
Il s’était attardé devant une statue
Dont il semblait goûter la beauté dévêtue,
Il écouta plus loin pleurer un long jet d’eau…
Pouvais-je avoir de LUI plus émouvante image ?
Alors, très lentement, comme on tire un rideau,
Je m’effaçai, discret, remportant mon hommage.
30 Avril 1895
La Nature n’a point de sensibilité
Et paraît n’éprouver rien au contact des hommes,
Elle s’ignore même, alors que nous, nous sommes
A genoux devant sa beauté.
Elle nous sert, inconsciente exactitude,
Et le jour et la nuit dont nous avons besoin;
Et nous, nous n’avons pas assez de gratitude
Pour la remercier de ses aveugles soins.
Nous ne lui sommes rien au monde
Pas plus qu’à la fleur ou qu’à l’onde.
Quand, sans Elle, on ne conçoit pas
Comment l’on peut faire un seul pas !
Est-il possible qu’il existe
D’Elle à nous semblable mépris ?
Ou n’est-Elle qu’un caillou triste
Rejeté par le Paradis.
Nous avons beau crier : »Nature
Entends et comprends notre émoi »
Aucun écho ne nous murmure :
« Homme, va, je suis avec toi! »
N’est-Elle qu’un jeu d’équilibre,
Que l’entant hagard du hasard
Sans âme, sans cerveau, sans fibre ?
N’est Elle qu’un monstre de l’art ?
O poète réponds pour elle
Toi qui l’adjures si souvent,
Qui l’a sacrée : »aimable et belle »
Toi qui lui souris dans le vent.
« -Mes amis, son indifférence
N’est qu’une trompeuse apparence,
Elle a des fluides sacrés
Dont nous sommes tous pénétrés :
Ce que vous appelez « la joie »
Est un de ses frissons heureux;
Vous pleurez vous étés la proie
D’un de ses deuils mystérieux.
Vous faites corps avec son âme,
Elle est le suc de votre chair,
Quand l’orage en elle s’enflamme
Vous en dispersez les éclairs.
Elle est le feu de notre sève
Le regard même de nos yeux,
La source unique de nos rêves
Et le reflet certain de Dieu.
L’homme n’est pas que son enfant,
Il est aussi sa raison d’être,
Oeuvre en perfectionnement,
L’homme est sa foi, sa fin peu être!
Août 1895
Mon navire a touché le fond d’un lac de lunes
Il sombra pendant mon sommeil; mais, Dieu merci,
Je respire toujours et je perçois aussi
Le moindre frisson d’eau de la quille à la hune,
Je n’ai pas peur… Je vois, malgré mon infortune,
Par le hublot de ma couchette où suis assis,
Un paysage sous-marin en raccourci
Où flotte un arbre vague aux feuilles couleur prune.
Le silence est profond, tout repose, tout dort
Dans l’immobilité féconde de la mort;
Mais brusquement l’angoisse entre à flots dans mes veines.
Au secours! un baiser doucement sur mon front
Apaise ma terreur et lentement je fonds
Sur l’harmonieux cœur de Mary, ma sirène !
CATULE MENDES
———-¬
On venait d’épingler la légion d’Honneur
A l’orgueilleuse boutonnière du poète;
Content, je composai pour en fleurir la fête
Une ballade émue au refrain flagorneur.
Je la lui dépêchai. Le célèbre affineur
Des strophes d’Hespérus m’ignorait; ma requête
Fut pourtant entendue, et, l’espérance en tête,
Vers le « Napolitain » pressai mon pas flâneur.
Des femmes entouraient le lion hystérique;
Sur la table l’absinthe ardait, cadavérique
Et dessous, des genoux, des ventres et la main…
La « verte » et les catins, c’était là l’ambroisie !
Mendès me souriait… Je repris mon chemin…
J’ai failli ce soir là quitter la poésie.
Tu peux bien me dicter une inflexible loi,
Mais, comment, O Mary, puis-je oublier ton charme ?
-« il ne faut plus penser à moi »
-« Mary, ton nom est dans mes larmes! »
Ah ! la vie eût été si belle,
Près d’elle, près d’elle !
Elle était le jardin vivant,
Le ciel toujours bleu, le bon vent,
La chanson dont l’oiseau s’inspire;
Pas un parfum, pas un rayon
Ne disait en naissant : soyons
Sans lui demander un sourire !
Mary Haerri ! Mary Haerri !
Je veux mourir avec ce cri,
Et ne me réveiller au ciel Qu’ayant aux lèvres cet appel!
Goutte de pluie
Que je t’envie,
Tu viens du ciel !
Ah ! l’on s’ennuie
Dans le réel
De notre fiel
Et l’on renie
Un coin mortel !
Goutte de pluie
Aile fleurie,
Ouvre et déplie
Robe inouïe
Et comme ourdie
D’ombre bleuie…
Et puis rallie
La voûte amie
Où règne et prie ?
L’essentiel :
L’esprit si bel
D’un Ariel !
Tristesse du soir…
Toute teinte
Éteinte,
Bleu noir et vert noir !
Ou s’en va ce vert ?
Où s’en va ce bleu ?
Ce matin si fier,
Maintenant si peu!
Leur belle couleur
N’est donc pas la leur ?
Et ce vert, si vert !
Demain ré offert,
Au soleil de Dieu
Renaîtra t’il bleu ?
Et ce bleu, si bleu !
Dès le premier feu,
Au chant du pivert,
Refluera t’il vert ?
Tout en modulant,
Mes vers pour savoir…
Mon papier si blanc !
Est devenu noir !
Demain, ressemblant
Espoir, désespoir,
Mon papier, si noir,
Reluira t’il blanc ?
Malgré mon deuil et ta carence,
Mary Haerri, je crois en toi,
Qu’est mon amour, sans cette foi ?
Ma lutte, sans cette espérance ?
Toute plate d’ennui
La lune erre la nuit,
Verte comme la bile
D’un pauvre être débile;
Elle va dans le noir
Par son froid promenoir,
Se sachant la risée
De la Terre qui dort
Sans amour, sans pensée, Pour le pauvre astre mort…
LA TOUR EIFFEL
———-
Pourquoi l’homme a t’il tant discuté cette tour :
Tel la traite de monstre et, ce fameux poète,
De symbole du siècle ou d’infernal prophète
Annonçant des temps noirs de son faîte d’autour.
Et le piéton endimanché qui tourne autour
S’en proclame comme écrasé; l’illustre athlète
Face à pareil géant pressentant sa défaite
S’en éloigne inquiet sans esprit de retour.
Moi, je la vois comme un élan, une fusée,
Une hampe de fer au cœur du ciel dressée,
Surtout, le soir, quand elle accroche le rideau
D’un grand nuage blanc bordé de bleu, de rouge
Et qu’elle le déploie et le hisse et le bouge
Au-dessus de Paris comme un vivant drapeau !
Juin 1895
Tu ne saurais me consoler, O poésie !
Si c’est ton intime désir,
Là, tu ne pourras réussir:
C’est la douleur que j’ai choisie
Mais si tu la veux caresser
Ainsi qu’un pauvre enfant blessé,
Chère amie,
Je te la confie.
Juillet 1895
-« Comment un si jeune gardon
Peut-il perdre ainsi la raison ?
L’on n’adore point à son âge ! »
-« Il n’est point d’âge pour souffrir
Ni pour pleurer, ni pour mourir,
Pour être fou, pour être sage !
Novembre 1895