LE MASQUE DU SORCIER BLANC
CRACOSKY Clémence 02-08-1983
2 Cour des Bois 77600 BUSSY St GEORGES
Tel: 01-64-66-11-65
LE MASQUE DU SORCIER BLANC
La place du village était vide.
La lune surplombait la concession Pourtant, Souleïmane ne parvenait pas à s’endormir. Il regardait les étoiles et cherchait celle qui aurait pu être la sienne. Une pas trop grosse ni trop brillante, une qui lui ressemble un peu, petite mais pleine de vie. Une petite étoile un peu timide mais dynamique, qui peut-être lui porterait chance…
Les masques noirs qui dansaient devant lui l’impressionnaient:
leurs bouches crispées, leurs yeux immenses et sans vie qui
paraissaient pourtant animés par le feu crépitant devant eux.
Des plumes de corbeau- porte-bonheur- apportaient à tout cela
une touche inquiétante.
Pourtant, l’un eux lui semblait plus familier. Sa bouche d’ébène
paraissait vouloir lui adresser un message qu’il ne comprenait pas.
La ronde de ses ancêtres s’agrandissait, à mesure que d’autres
masques noirs apparaissaient.
Et lui, il était là. Il courait, pieds nus dans le sable brûlant. Il
passait et repassait près d’eux et écoutait un instant leurs chants
avant de s’éloigner à nouveau.
Puis, des masques blancs firent leur apparition. Les ancêtres
voulaient le protéger, lui, Souleïmane. Mais il était attiré
irrésistiblement vers ces nouveaux masques aux allures étranges
et dont les plumes étaient d’or.
Alors qu’il les rejoignait, un éclair illumina la scène et l’aveugla.
Lorsqu’il put ouvrir les yeux, les masques blancs, avaient disparu
avec lui. Les masques d’ébène avaient perdu leur activité, leur
vie, et retrouvé leur immobilité.
Puis, ils laissèrent place aux masques blancs, biens vivants, qui
prirent soudain des airs inquiétants. Leurs sourires se
transformaient en rictus et leurs plumes tombaient en se
changeant en lambeaux papier.
Souleïmane se réveilla en sursaut.
Le lendemain, après avoir embrassé sa tante qui l’avait élevé et être passé à la forge pour saluer son père, il partit en courant sur le chemin de terre rouge, la seule route, qui conduisait à la ville. Il ne ressemblait pas aux autres garçons de son âge qui jouaient tous les jours sur la place, sous l’arbre gigantesque qui faisait la fierté du village.
Il préférait courir, sentir la terre, sa mère, la seule qu’il ait jamais eue, sous ses pieds nus. Il partait tôt le matin parce qu’il aimait cette heure où le soleil n’a pas encore réchauffé le sable, et revenait en fin de journée, après que le soleil se fut couché. Ce soir là en rentrant au village, Souleïmane constata qu’aucune lumière n’émanait de la forge. Pourtant, son père avait pour habitude de travailler tard le soir. Il avait dû se passer quelque chose. Il s’approcha de la case avec inquiétude et entra. Son père était assit en face d’un homme blanc. Sa tante se tenait très droite derrière lui, prête à servir le thé à l’inconnu, dès que sa tasse serait vide. C’est à ça que le garçon comprit que l’homme était important. Son père prit la parole:
«-Assieds toi mon fils. Cet homme désire te parler. Ton oncle Ibrahim lui a parlé de tes courses lors de son dernier passage en ville.»
Puis, il quitta la case, suivi de la tante, sa seconde épouse. L’homme se présenta à lui comme un recruteur. Il était là pour lui donner sa chance. S’il partait avec lui, il serait en compétition avec d’autres jeunes de son âge pour l’une des dix places disponibles au centre de formation. L’enfant demeurait sceptique. Il n’avait aucun intérêt à partir. Il pouvait parfaitement courir ici et être près de sa famille.
L’homme aborda alors l’aspect financier, en lui expliquant qu’en Europe, lorsqu’on court plus vite que les autres, on peut gagner de l’argent. Et même, beaucoup d’argent. Puis, il fit appel aux sentiments du garçon, en lui disant qu’il pourrait aider ses proches, s’il réussissait.
Lorsque son père reparut, ils signèrent tout les trois les papiers que leur présentait l’homme, puis, tout le village sortit sur la place pour lui souhaiter bonne chance. Sa tante tenta bien de le dissuader mais sans succès. Son oncle Ibrahim s’approcha pourtant de lui et dit:
-«C’est une chance que tu as. Ton père a accepté mais si tu échoues, il ne te laissera pas de seconde occasion. Moi, j’ai confiance en toi, champion, mais fais attention et méfie toi de cet homme blanc. Il va te faire courir et c’est ce que tu veux, mais je ne suis pas sûr que ce soit exactement ce à quoi tu t’attends. Maintenant va.»
Souleïmane n’entendit pas tout à fait ce qu’il disait, car il était encore sur un petit nuage. Mais il comprit qu’il fallait réussir, sans quoi, jamais plus il n’aurait la chance de gagner autant d’argent.
A son arrivée dans la capitale, Souleïmane comprit vite que la sélection serait impitoyable: Une centaine de jeunes étaient présents. L’un d’eux fut recalé dès la visite médicale. Dès le lendemain, on passa aux épreuves physiques. Chaque soir, une liste de jeunes était affichée dans le hall du bâtiment principal. Ceux là devraient attendre l’année suivante pour retenter leur chance. Souleïmane était fier de faire partie des «rescapés» comme ils s’appelaient entre eux; mais combien de temps serait-il encore parmi ceux là? Chaque jour, la liste s’allongeait.
Le dernier jour, un homme fit son apparition. Certains le reconnurent et s’écartèrent sur son passage. Le garçon avait beau chercher, il ne retrouvait pas le nom de l’homme, mais son voisin le lui souffla à l’oreille et il comprit ce qu’il avait de spécial, ce qui le rendait unique aux yeux de ses camarades. Cet homme était le meilleur qoureur du pays.
Il interrogea les candidats individuellement, dans une petite salle, avec le blanc qui était venu le chercher. Tous les garçons furent appelés tour à tour. Souleïmane attendait encore. Enfin son tour arriva, au bout de longues heures d’attente. Il était le dernier candidat. Il répondit clairement et précisément à toutes les questions, et à la fin de l’interrogatoire, les deux hommes s’avancèrent vers lui. «Tu viens de gagner ta place au centre de formation, mon garçon.» Dans l’heure même, la liste officielle des dix fut affichée.
Ce soir là, en regardant le ciel, il vit une toute petite étoile qui brillait au dessus de sa tête. Il n’y avait encore jamais prêté attention. Pourtant, au fond de lui, quelque chose lui disait qu’elle apparaissait réellement pour la première fois.
Souleïmane passa deux ans au centre de formation avant d’être
recruté par un club d’athlétisme français.
Le jour de son arrivée, il fit la connaissance du vétéran du club,
Stéphane, qui allait le prendre sous son aile et devenir son ami. A
la fin de la saison, celui-ci prendrait sa retraite et son but était de
finir par un dernier titre de champion de France. Il avait une assez
belle carrière derrière lui, avec, notamment un titre olympique,
trois titre de champion de France, dont deux consécutifs.
L’enfant se demandait ce qu’il était venu faire ici. Lorsqu’il posa
la question à son ami, celui ci se mit à rire.
-«Tu ne le sais vraiment pas?»
Souleïmane était inquiet. Il commençait à douter. N’avait il pas
sauté un peu trop vite, sans regarder où il allait?
-«On m’a dit que c’était pour courir.» répondit il.
-«Alors, pourquoi me poses-tu la question, si tu connais la
réponse?»
-«Mais où est ce qu’on court? Il y a des immeubles partout, et du
béton.»
Stéphane comprit tout de suite où l’enfant voulait en venir et il lui
désigna alors un bâtiment en lui disant:
-«Ce que tu cherches, est là. La piste est à dedans. Viens, je vais
te montrer.»
A l’intérieur, une dizaine d’hommes et de femmes s’entraînaient.
L’homme lui montra la piste. Ce qu’elle était triste ! Ce n’était
qu’un cercle, sur lequel il fallait tourner. Des lignes blanches
délimitaient le « territoire » de chaque coureur. Les athlètes
restaient prisonniers de leurs lignes, leur course était limitée dans
le temps, ils ne pouvaient courir, comme il le faisait chez lui, toute la journée, en fonction de son humeur ou du temps qu’il faisait.
Ici, chaque effort était observé, analysé, calculé, contrôlé. Chaque geste était répété des centaines de fois, jusqu’à obtenir le mouvement parfait, pour améliorer sans cesse les performances. Il fallait toujours chercher à grignoter un ou deux centièmes de secondes. Lui, il n’avait jamais cherché à aller vite; lorsqu’il courait, il caressait la terre du bout du pied et il pensait à tout ce qu’elle offrait aux siens. Courir était sa manière de la remercier, car c’était la seule chose qu’il aimait et qu’il sache faire. Il s’avança sur la piste. Elle était si dure! Elle lui faisait mal aux pieds. Stéphane lui apporta une paire de chaussure d’athlétisme. Elles étaient vraiment étranges, sans talon, il fallait courir sur la pointe du pied. Il les chaussa et cela lui parut étrange. Il se sentait ridicule mais fit malgré tout quelques foulées. Le champion avait raison. C’est vrai qu’il se sentait bien dedans. Il se sentait plus léger. Seuls, les clous le gênaient, il avait, à chaque pas, l’impression d’écorcher le sol.
Les championnats de France approchaient. Souleïmane s’était piqué au jeu et parfaitement intégré parmi les athlètes. Il découvrait maintenant la pression qui entoure les compétitions, et qui s’emparaient de lui à mesure que l’échéance approchait. C’était une nervosité sournoise qui le guettait et qui s’engouffrait petit à petit dans chaque brèche de son corps et de son esprit d’enfant.
Bien sûr, il avait su s’adapter à sa nouvelle vie, bien sûr, il s’était habitué à porter ces chaussures à pointes avec lesquelles il avait la sensation de trahir la terre, mais il restait un enfant d’Afrique et personne ne pourrait faire en sorte que cela change. Jamais il ne renierait son pays, même s’il gardait pour celui qui l’avait adopté , une reconnaissance infime.
Le matin de sa course, Souleïmane se sentit déjà plus calme et reposé. Il était très tôt et les autres dormaient encore. L’enfant leva la tête, et, de nouveau, aperçut de nouveau la petite étoile, qui lui semblait briller, plus encore que la première fois. -«Tu t’appelleras Victoire» murmura-t-il.
L’heure « H » approchait. Très détendu, il cala ses pieds dans les starting-blocks et attendit le départ. Il pensa à sa famille. «Il faut qu’ils soient fiers de moi» pensa-t-il. Puis, il se concentra sur la piste. Sa stratégie de course, il la connaissait par cœur, mètre par mètre.
Le départ. Souleïmane se projeta en avant en regardant loin devant. Il se redressa, relâcha tous ses muscles et prit une allure régulière. A la sortie du virage, il se rabattit à la corde. Déjà, l’un de ses adversaires ne parvenait pas à suivre le rythme. L’enfant le passa.
Soudain, son pied heurta la lisse, sans gravité, mais, déséquilibré, il chuta. Une douleur fulgurante lui traversa tout le bras.
-«Fracture du poignet» diagnostiqua le médecin. Il paraissait
soucieux.
-«Au fait, quel âge as-tu?
-J’ai dix-sept ans m’sieur. C’est écrit sur ma carte d’identité.
-Qui t’as fourni cette carte. C’est l’homme qui t’as recruté?
-Oui, pourquoi?»
L’homme qui était en face de lui paraissait gêné. Il n’avait jamais
su parler aux gens. Et ce qu’il avait à annoncer à cet enfant était
assez délicat.
-«Eh bien, ta carte a pu être… trafiquée. On peut facilement
donner deux ou trois ans de plus à quelqu’un.
-On peut médicalement connaître l’âge d’un individu grâce aux
radios du poignet, notamment chez les enfants»
Très embarrassé, le médecin sortit de la pièce.
Resté seul, Souleïmane réfléchit. Il avait blessé la terre et celle ci
se vengeait.
Quelques mois auparavant, il se serait contenté de cette
explication. Mais cela ne lui suffisait plus. Il prit conscience qu’il
essayait de rejeter la réalité pour protéger son amour propre. La
vérité, c’était qu’il s’était proprement fait rouler.
Tout ce qu’il avait accompli ne servait plus à rien. L’argent. Il lui
avait fait tourner la tête. Souleïmane comprenait maintenant son
erreur. Il avait voulu courir pour de l’argent et sa famille n’était
qu’un prétexte. Il avait tout abandonné pour quelques billets de
papier.
De papier.. .des lambeaux de papier.
Souleïmane se souvint alors du rêve qu’il avait fait, là-bas, dans
son village. Il se souvint des masques blancs qui l’avaient
emmené, il se souvint des plumes d’or qui tombaient en se
changeant en papier.. .monnaie.
La nuit était tombée. Par la fenêtre ouverte, on pouvait voir un
ciel très dégagé. La lune était claire et les étoiles brillaient.
Mais Souleïmane eut beau chercher, « Victoire » demeurait
invisible.
Quelque part, dans la galaxie, un petite étoile s’éteignait.