J’ai reçu ce matin la réponse attendue;
Souriant finement, mère me l’a tendue :
-« C’est un grand souvenir de la Suisse, une vue…
Rayonnante de sens, qu’un ami négligent
(Puisqu’il ne signe point) t’adresse, mon cher Jean ! »
Troublé, sans me pencher sur l’envoi, j’ai, d’un signe,
Remercié ma mère et pris la carte insigne,
Et bondi vers ma chambre un peu comme un voleur
Qui de son rapt, chez lui, va peser la valeur.
Et là, sous le regard d’un jour moins ironique,
J’ai redore mon cœur , à la lumière unique
Que dégageait si bien, sans crime, sans délit,
Un message si clair : le serment du Grütli !
Juillet 1893
Pelotonné dans un fouillis de branches d’or,
Emmailloté d’ambre de lune, l’oiseau dort;
Le Silence s’écoute et le Temps se recueille,
La brise à peine arpège à la harpe des feuilles…
Il plane sur le bois mollement éclairé
Un rêve qui se baigne en son reflet doré;
Dans la coupe lilas du ciel, luisante hostie,
L’astre trempe attristé de la mélancolie
De cette mission de nocturne soleil
Qui lui fut imposée aux heures du sommeil;
Modeste, il la poursuit; mais voici qu’il s’incline
Vers le faîte des monts suivant la discipline,
Et bientôt derrière eux pâle et las disparaît.
Car à l’Est le grand Roi se rapproche à longs traits.
L’ombre et l’aube, un moment, se disputent la terre;
Mais l’aube, peu à peu, repousse le mystère.
Et l’oiseau sans ouvrir encore bien les yeux,
Éprouvant un frisson par son être soyeux,
(Du jour qui l’avertit, joie intime et première)
Gazouille un petit chant d’amour à la lumière !
L’ARC de TRIOMPHE
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Du seuil large et fleuri le l’illustre avenue,
L’Arc de Triomphe, avec son sommet animé,
Sa voûte sous laquelle un grand soleil de mai
En éclaire le soir la gloire continue,
M’attire tel un faîte à la foi soutenue
Dont tout jeune Français, fier de ce nom aimé,
Doit être à chaque instant du jour comme enflammé
Pour ton plus grand honneur, O France méconnue.
Lors je monte à pas vifs l’allée au noble fond,
Où respire Paris d’un poumon plus profond
Et j’approche bientôt de l’héroïque porte
M’y voici; oui c’est bien la cime aboutissant
A toutes les grandeurs que le mérite escorte
Car, en effet, voyez, de là, tout redescend !
Août 1893
Je n’en doute point, c’est moi, son émoi,
Son souci… Mais elle, elle est sûre
Que son nom m’éclaire, aussi me rassure,
Au fur à mesure,
Que je pose un pied devant moi !
Tant de jours, pourtant, sans un petit signe
Pèsent sur mon cœur lourdement !
Elle doit connaître aussi ce tourment…
Et, certainement s’en indigne !
Mais elle sait, comme moi-même,
Qu’il faut user de stratagèmes
Pour échanger, dans notre cas,
Les moindres saluts délicats.
Ah ! comment tourner la défense,
Sans heurt, sans brèche, sans offense ?
J’y réflechis, Mary Haerri
Septembre 1893
Je fus , hier, en pèlerinage,
Chez Jean de La Fontaine; en ce Château-Thierry,
Si flatté de ce parrainage !
Inspire-moi, soufflé-je, oh! lumineux esprit,
Et confident des cœurs meurtris,
Qui, tout en raillant, leur souris
Et les encourage,
Je veux envoyer à Mary,
Signé de ta main, un message !
Aussitôt, je fus entendu;
Le gardien du lieu m’a tendu
Un souvenir par lui vendu :
Une carte où brillait l’image
(Perruque ample, grand nez, gros sourcils, menton rond,
La bonté dans les yeux, l’Olympe sur le front)
De l’auteur des plus fins adages
De tous les âges…
Deux vers, à propos éclatants;
Conseillaient au bas du visage :
» Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage ».
La Fontaine m’avait souri;
J’adressai l’avis à Mary,
Octobre 1893
Huit jours après ce merveilleux voyage,
Je retournai dans la maison
De l’auteur du fol et du sage;
Le gardien, un discret garçon,
Me revoyant comprit sans peine,
-« Hier, j’ai reçu, me fit-il,
L’agitant comme au bout d’un fil,
Ce mot adressé de Wattwil :
A Monsieur Jean de La Fontaine »
Je compris, non sans rougeoyer,
Et, tremblant, prenant le papier,
Lus et relus, ensoleillé,
Ceint par trois siècles de silence…
« Plus fait douceur que violence ».
La lumière de l’ univers est la couronne,
Elle est l’âme éparse de Dieu,
En nous la donnant Dieu se donne,
Ouvrir les yeux,
C’est voir Dieu.
La nuit maudite
Est une lumière interdite
Au fond de laquelle il médite.
Le Démon n ‘est qu’un mythe noir,
Un épouvantail nécessaire,
Pourtant Dieu n’a pas d’adversaire
Et n’en saurait avoir.
Comme le corps l’âme a ses yeux
Et l’aveugle dans sa misère
Levant son oeil vide vers Dieu
Est celui qui le voit le mieux.
Il n’est pas non plus de ténèbres,
Ce n’est là qu’un décor funèbre;
Tout est rayon universel
La mort ? la mort : c’est notre âme
Ayant dévoré de sa flamme
Le pauvre corps matériel,
Rejoignant plus illuminée
L’immense lumière obstinée
Qui coule à flots de l’Éternel!
Oui, Dieu c’est la lumière !
Il est
Dans tout reflet,
Et c’est pourquoi Mary si claire
Me plaît.
Ce soir je ne veux pas pleurer
Comme chaque soir exécré.
Je veux dans un rire effroyable
Saluer la fin misérable
De l’an qui m’a désespéré !
31 décembre 1893
Souvent regardant du côté,
Où quelque jour, coûte que coûte, J’irai la reconquérir toute
Je me prends à gaîment chanter
Un air qu’à ces mots j’ajustai :
BIEN LOIN D’ICI (Chanson)
———–
Parfois l’on découvre en marchant
Par le sentier ou par le champ,
Une fileur jamais rencontrée;
Et l’on se dit, cette fleur là
Vient du ciel, elle a trop d’éclat,
Sur terre elle s’est égarée.
Refrain
Mary, Mary, bien loin d’ici,
Bien loin d’ici,
J’ai respiré, mon Dieu, merci
Une céleste fleur aussi.
II
Par les bois ou par les roseaux
On surprend à chanter l’oiseau,
A la voix jamais entendue,
L’on affirme que le charmeur
Qui nous en donne la primeur
Est fils d’une étoile attendue.
Refrain
Mary, Mary, bien loin d’ici
Bien loin d’ici,
J’ai savouré, mon Dieu, merci,
Un refrain ineffable aussi.
III
Par la montagne ou le ravin,
L’on croise un sourire divin
Qui nous ravit et qui nous change,
On pense, ce rayon si doux,
N’est sûrement pas de chez nous,
Il descend du pays des anges !
Refrain
Mary, Mary, bien loin d’ici
Bien loin d’ici,
J’ai rencontré, mon Dieu, merci
Ce sourire indicible aussi.
IV
Mais ce qu’on trouve rarement
Dans le bouquet le plus charmant
C’est la fleur, la voix, le sourire,
Car la perfection est là.
Cependant ce chef-d’œuvre là
Je le connais et vais le dire:
Refrain
Mary, cary, bien loin d’ici,
Bien loin d’ici,
Je l’ai découvert, Dieu merci !
Ce chef-d’œuvre par moi choisi !
Ah! qu’il est doux ce chant vainqueur
Surgi d’un seul trait de mon cœur !
Sur les hauteurs de Chalifer
D’où l’on voit le chemin de fer Courir vers d’helvétiques sites,
J’ai chanté mon joyeux couplet.
Voici ce que dans le sifflet
D’un train qui revenait complet
De la Suisse à Jean interdite,
Je démêlai comme un écho
Du chant que je chantais là-haut.
Les distances ne sont rien
Quand deux cœurs s’entendent bien,
L’éloignement ne commence
Qu’alors que meurt la constance.
Dans notre cas, nul danger
Le pays que l’on habite
Pour l’autre en plus lointain site
N’est point pays étranger !
Refrain
Mon Jean. , garde l’espérance;
Jamais la Suisse et la France
Ne furent, au cours des temps,
Près l’une de l’autre autant !
II
Rien ne devance la nuit
Mieux que le jour qui la suit;
Rien n’a la voix plus fidèle
Que l’écho pourtant loin d’elle,
Rien n’est plus près du soleil
Que la sombre tache d’ombre;
Plus près de la foi qui sombre
Comme un mystique réveil !
Refrain
Mon Jean Garde l’espérance
Jamais la Suisse et la France
Ne furent, au cours des temps
Près l’une de l’autre autant!
Patiemment la neige à légers flocons flous
Drapa sans préférence et le tertre et la tombe,
Couronnes, chapelets et tout ce qui retombe
En pleurs perlés au lit de marbre ou de cailloux…
Cela pendant des jours silencieux et doux
Et cette chute lente et cette molle trombe
Ont si complètement recouvert l’hécatombe
Que rien n’émerge plus des implacables trous
La colonne, la chapelle, la pyramide
N’écrasent plus de leur orgueil la croix timide
Tout sous même linceul dort uniformément.
Nature élague ainsi les vanités humaines,
Car dieu n’admettra point lors de l’ultime scène
Ce qui cherche à troubler son dernier jugement.
Janvier 1895
Depuis quelques mois je m’exerce
Dans une école de commerce.
Père a de vastes intérêts
Au Japon, et de moi veut faire,
Son sosie : un homme d’affaires !
Hélas, je ne suis qu’un pauvret
Devant les chiffres, les factures,
Devant les plates écritures
De l’inventaire et du brouillard…
Hier, je fus en retenue
Pour avoir trop suivi les nues
Qui fuyaient vers l’Est par milliards
Comme par mes soupirs poussées
Vers la Dame de mes pensées
Qui ne répond plus aux appels
Que je lance par terre et ciel,
Qui, sans écho, mes lettres laisse…
Mes lettres ! oui ! je le confesse;
Car, dans ma profonde détresse,
Ne recevant plus d’elle un brin
D’olivier, même Sybillin
J ai posté vingt cris de tristesse
Follement signés de ma main !
Est-il donc rompu le lien
De nos larmes, de nos ivresses,
Ma muse, mon enchanteresse,
Dont, hélas ! je ne sais plus rien ?
Cimetière de Lagny.
ERNEST CHEBROUX.
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Ernest Chebroux, le bon chansonnier poitevin,
Me reçut, hier, dans sa modeste imprimerie;
Là, d’une voix légère et sans afféterie,
Il chanta pour moi seul un petit air divin…
C’était si gracieux, si doux, ces « Bords du Clain »
Qui disent « la mignonne » adorable et fleurie
Sautant de pierre en pierre un torrent de féérie
Et l’amoureux, la poursuivant, mais pas en vain,
Que je voulus, le même soir, en écrire une
De ces bonnes chansons qu’on chante au clair de lune;
Mais 1’inspiration en chemin me laissa !
Car la Thour était sourde et ma belle hermétique;
Et les petits rochers de la rive helvétique
Me lapidèrent tant que l’un d’eux me blessa !
Mars1895